dimanche 21 janvier 2007

L'ouverture

(l’histoire raconte la journée de pêche de l’auteur, un homme prétentieux qui reçoit donc en retour toutes les misères du monde)

Aujourd’hui, c’est le grand jour, j’entends le champ du merle qui coïncide avec l’ouverture. J’aime ces jours, où le gel bloque tous les petits filaments d’eau en me laissant une rivière propre et basse. D’ailleurs, cela m’a permis de prendre ma canne à mouche, technique de pêche qui ne sera valable que sur les coups des midi.
Je me demande comment un vieux renard comme moi a pu partir si tôt ce matin, alors que ça ne sert a rien ; Mais en définitive, je commence à comprendre, c’est parce qu’il faut que je les voie, que je les fasse comme chaque année, c’est la tradition de se placer à la nuit au bord de la rivière, tout le monde s’y soumet.


La rosée gelée forme une croûte sur les herbes, j’ai l’impression de marcher sur des par-brises ; La brume quitte petit a petit la surface de l’eau, le soleil se montre et m’aveugle violemment.

(…)
Déjà 10 Heures, j’ai monté un bon Kilomètre de rivière, et pas un poisson n’a pointé le bout de son nez ; Pourtant un geai annonce mon arrivée, je sais maintenant que je suis le premier à passer là, personne n’a encore prospecté ce nouveau pool de pêche ; Plusieurs coups de lignes, et toujours rien, Je m’ennuie, j’ai envie d’avoir de folles montées d’adrénalines, une envie folle de prendre des truites.


11 Heures, J’ai toujours aussi froid ,mes pieds sont glacés, mes doigts gelés ou du moins c’est l’impression que je ressens. Dans l’eau jusqu’à la ceinture, je parviens à tout oublier, le boulot, le stress d’un avenir prometteur qui ne se fait pas du tout sentir, mais s’il y a une chose a laquelle je dois faire attention, et de suite, c’est où je mets les pieds, car le sol est très glissant ; Un faux pas et c’est la chute dans l’eau glacé.
Ca y est !, ça ne m’aurait pas étonné, il se met a pleuvoir ; cela est désagréable mais tout aussi bon pour la pêche, l’eau commence à se teinter.


Les belles sont dehors ; Elles sont serrées par deux ou trois ; Je m’approche a bonne distance, elles ne bougent même pas ; Trop facile, un débutant les ferait…
Mais non ! c’est bien fait pour moi, je suis trop sur de moi, je sais tellement où elles sont que je viens d’en rater deux, coups sur coups. Ici, c’est beaucoup trop simple pour moi, ou alors je dois sous-estimer ces poissons. Peut-être sous les arbres là bas , j’aurais mes chances, ce petit courant présente des difficultés, une mauvaise branche fait des stries dans l’eau. Vu mes talents, ça passera plus haut en laissant bien coulée la soie.

Dommage, pas un gobage, si !ça y est ! j’ai vu...ah non,...c’est un rat. Je repars donc encore plus voûté par la honte d’avoir confondu ces deux espèces.

Enfin le moment crucial, la pluie c’est arrêtée, le temps deviens lourd, c’est moment le plus propice a l’éclosion. En deux minutes, le ciel se garnit de mouches gris-jaune ; Hier au soir, je les ai tout naturellement, ou en suivant mon instinct, disposées dans ma boite a mouche.
Mais non ! c’est pas vrai, un gros nuage masque le soleil entraînant la fin de l’éclosion. Tampis de toutes manières, je n’ai plus rien à perdre, je monte en pointe une noire ; sur un remous, je lève la canne et c’est un saumon, le poisson strictement interdit dans ce cours d’eau qui m’arrache mon bas de ligne ; je dois être maudit, je ne vais pas parvenir à prendre quelques truites.


Ah, le soleil refait de nouveau son apparition et me permet d’apercevoir le saumon qui a détruit mon bas de ligne avec ma superbe mouche ; il laboure la rivière de long en large, puis épuisé, il lui prends l’idée de venir se calé contre ma jambe ; Il est complètement fou ce poisson, personne ne me croira, j’ai moi même du mal a croire ce que je vois, mais le fait est là. Vu ma rapidité, il n’a aucune chance de s’en sortir, je me penche et attrape brusquement le fil… Apeuré, celui-ci démarre comme un fou, et voilà que je me retrouve avec la mouche pointée dans la pomme de ma main.


Aïe...Aïe.., l’hameçon est bien planté, j’essaye de me décrocher en élargissant la plaie, mais cela me fait trop mal ; Un dur comme moi devrait pourtant y arriver, il faut à tout prix que je fasse ressortir la pointe et l’ardillon de l’hameçon. Déjà 20 minutes que je bataille, Je me sens de plus en plus faible, l’être humain que je croyais dur, capable de faire face a l’imprévisible, est en train de s’évanouir. Mon sang coule sur mon gilet et sur mon panier tout neuf, mes petits bras fatiguent sous le poids de la canne, mais je résiste encore pour tenter de sauver ma pêche, j’agis, et arrache enfin ce maudit hameçon.


Ma dernière chance va peut-être sonné, j’approche de la fosse, la meilleure de la rivière. Il me faut m’armer de patience et de précision pour le lancer de ma soie. ; Le posé est parfait, je suis tombé a environ 50 cm en amont du poisson, la mouche descend lentement et c’est une magnifique truite très vive, qui s’empare de mon artificielle. La touche est lourde et profonde, ma soie part en arc de cercle ;c’est la plus grosse du lot, elle semble complètement affolée, mais finit par se caler au fond de la rivière. Petit à petit, je descends pour la retrouver, mais j’ai beau tirer, rien ne bouge. Je sens des coups de tête, elle doit se secouer ou bouler le fond.
C’est pas vraie, ça recommence, la malchance devait me guetter derrière un rocher ;la truite sort du fond et part se coincée dans un énorme fagot ; Je donne un coup de pied afin d ‘essayer de libérer mon fil, mais le voila qui dévale maintenant sur l’eau de plus en plus vite. Je n’ai pas encore perdu ce poisson, elle est au milieu, ma canne peut casser sous le poids du fagot entraîné par le courant ; C’est bon, il vient de se stocker 20 mètres plus bas. Mon sang lui coule toujours, ma tenu discrète est devenue toute rouge, mais j’oublie une fois de plus toutes ces péripéties, car je suis en train de me rendre compte qu’elle vient vers moi, presque inerte ; je peut l’échouer sur la berge.


Trop content, je la regarde attentivement et je la tue en lui brisant la nuque. Elle est vraiment belle, c’est une mémère bretonne, elle fait bien ses deux livres. Pourtant je ne suis pas aussi joyeux que je devrai l’être.


Enfin assis, je ne suis pas fier de mon acquis, je suis au contraire bête, fatigué, et j’éprouve un sentiment de culpabilité, des états d’âmes. Pourquoi lui ai-je ôté la vie ? de quel droit ai-je pu faire une chose pareille ? A plusieurs reprises, j’ai voulu arrêter de pêcher, mais j’ai toujours insister encore et encore, pour en arriver là, alors que je n’apprécie même pas la finalité. Je voudrais la ressusciter pour lui rendre la monnaie de sa pièce, elle m’a livré un superbe combat, elle aurai mérité de rejoindre ces camarades, ne serais ce que pour le plaisir qu’elle ma apporté a la capturer.. je n’ai d’un seul coup plus du tout envie de pécher. Je suis dans une période où j’adore et je déteste ce qui, l’année dernière, me faisait le plus plaisir.


C’est au début, de l’avoir trompé avec ma mouche artificielle, et surtout de l’avoir capturé malgré son combat, qui m’a réjouit ; Maintenant ma punition, c’est parce que je lui est donné la mort. Je viens donc de me rendre compte que j’étais un mauvais, irrespectueux de se poisson ; il ne me reste plus qu’à « déprimé », même la pêche n’aura pas réussi a formaté mon stress, paradoxalement elle y contribue sous une nouvelle forme qui s’ajoute a mon état déjà pas très glorieux…